Friday, June 15, 2012

Inédit: La mort à l'étranger

Voici une partie de mon expérience en Chine que j'avais décidé de ne pas inclure dans mon blogue au moment où c'est arrivé. Un très gros ''pensez-y bien'' lorsque vous déménagez à l'étranger...

 
Peu importe dans quelle ville vous vous trouvez, lorsque vous emménagez dans un nouvel appartement vos voisins sont habituellement simplement des connaissances sans trop grand impact sur le déroulement de votre quotidien. Au mieux, vous faites connaissance et profitez parfois de vos relations pour emprunter quelques items ménagers, mais vos interactions restent banales. Cependant, lorsque vous décidez d’accepter un travail à l’étranger et de déplacer votre vie à des milliers de kilomètres de la maison, les gens que vous rencontrez dans votre nouvel environnement deviendront rapidement part entière de votre vie de tous les jours. La promiscuité créée par un fort désir d’appartenance tisse des liens allant bien au-delà d’un simple échange de bons services entre voisins et des amitiés solides se forgent. Qu’arrive-t-il alors lorsque le malheur frappe et que vous êtes soudainement responsable de faire respecter les dernières volontés d’un parfait étranger? 

Lors de ma première semaine de travail, je rencontre mon voisin de palier, Terry, un enseignant américain de 53 ans faisant partie de la poignée d’expatriés vivant à Shangqiu. Au fil de nos discussions et de nos sorties en ville, nous nous découvrons quelques intérêts communs qui suffisent à faire naître une belle complicité, malgré une différence d’âge qui pourrait en contexte normal, poser une barrière considérable à notre amitié. Après tout, nous ne sommes que six étrangers travaillant pour l’école alors nous restons solidaires et mon acceptation dans le groupe est naturelle.  Chaque jour, il m’attend au retour du travail pour discuter de mon expérience en classe et échanger quelques conseils de vétéran, car il travaille dans la ville depuis maintenant six ans. Après quelques visites chez lui, il me présente le jeune Lechung qu’il héberge dans son appartement, s’assurant ainsi la présence d’un traducteur à portée de main et d’un ami fidèle qui semble toujours prêt à faciliter nos sorties en ville et nos échanges avec les habitants de Shangqiu. Cependant, à force de côtoyer les deux colocataires, je commence bien à me douter que leur relation est beaucoup plus forte qu’une simple amitié, mais l’homosexualité étant tabou en Chine, je décide de ne pas partager mes réflexions. Au fil des semaines, Terry commence à se plaindre d’un mal de dents et envisage de se rendre à Shanghai avec Lechung pour visiter un dentiste étranger.

Vendredi matin, je suis au beau milieu de ma leçon lorsque mon téléphone cellulaire sonne. Gênée d’avoir oublié d’éteindre la sonnerie, je m’empresse d’ignorer l’appel de Lechung croyant qu’il souhaite m’inviter à dîner et décide de le rappeler plus tard. Ce n’est que lorsque je retourne à mon appartement que je remarque que quelque chose ne va pas. Devant la bâtisse sont stationnés une dizaine d’auto-patrouilles chinoises et mon amie canadienne m’attend à l’écart de la foule. La voix brisée par l’émotion, elle m’apprend la nouvelle qui bouleversera notre petite communauté d’expatriée : Le matin même, Terry a été retrouvé mort dans son appartement par Lechung. En état de choc, nous marchons toutes les deux vers la foule qui se multiplie devant mon édifice. Entre les policiers qui s’affairent à créer un périmètre pour contrôler efficacement une situation qu’ils n’ont jamais vécu, de plus en plus de curieux s’entassent dans la petite ruelle pour être témoin de la scène. Tout à coup, mon amie devient extrêmement agitée et s’élance avec force vers un policier qui tente de guider une équipe de la télévision chinoise sur la scène de l’accident. Elle veut empêcher à tout prix que la mort de notre compatriote soit tournée en phénomène de foire. Alors qu’elle mène une discussion agitée avec le chef de la police chinoise afin d’établir un quelconque protocole, j’aperçois Lechung au milieu de la foule, complètement perdu et bouleversé. Les autorités de l’école sachant qu’il était proche de Terry, sans toutefois connaître l’étendue de leur relation, le bombarde de questions et lui demande d’agir en tant qu’interprète. Le pauvre jeune homme, ne sait plus où donner de la tête, complètement paralysé par son deuil. Je m’approche de lui et glisse mon bras autour de sa taille pour lui apporter un mince réconfort dans ce moment catastrophique. Personne ne sait la raison exacte de la mort de Terry, mais tous les signes semblent pointer vers une crise cardiaque. Exceptionnellement, la veille Lechung avait décidé de dormir dans le dortoir pour terminer un travail et la culpabilité d’avoir peut-être pu sauver son compagnon s’il avait été présent, l’atteint profondément.

Finalement, on me demande de rejoindre mon appartement et lorsque j’arrive chez moi, je remarque qu’une trentaine de policiers sont entassés dans le logement de Terry, quelques-uns effectuant l’enquête, mais la plupart seulement curieux de voir de leurs propres yeux la demeure d’un étranger. Frustrée et impuissante, je m’assois dans mon salon et écoute à travers la porte le va et vient des enquêteurs. Quelques heures plus tard, la dépouille de Terry est transportée à la morgue, mais ce n’est que la première étape d’une saga complexe qui mènera finalement à son rapatriement, presque quatre semaines plus tard.

Le lendemain matin, on cogne à ma porte à l’aube et Lechung n’ayant visiblement pas dormi de la nuit me demande s’il peut entrer. Je lui offre une tasse de thé et nous nous assoyons en silence, préférant partager par des regards toute la détresse qui l’habite. En quelques heures son univers vient de basculer et en demandant la compagnie d’une étrangère, il cherche à retrouver quelques bribes de l’environnement familier dont il avait l’habitude avec Terry. Je comprends qu’il a perdu en une seule nuit son ami le plus proche et son partenaire de vie qui lui permettait d’imaginer un futur bien différent de celui des jeunes chinois de son âge. Il sera maintenant forcé de réintégrer la communauté étudiante et il perdra tous les privilèges auxquels il avait droit par l’entremise de sa relation avec un étranger. Plus tard dans la journée, il reste à mes côtés alors que la police locale me fait subir un interrogatoire pour éclaircir les circonstances de la tragédie.

 Dans les semaines qui suivent, mes amis canadiens entrent en contact avec la famille du défunt, mais étant donné qu’aucun des membres ne peut se déplacer en Chine pour récupérer la dépouille, nous sommes mis en charge de nous occuper de l’attribution de ses biens et des funérailles chinoises. L’ambassade canadienne à Pékin tente de nous aider du mieux qu’elle le peut à organiser le rapatriement du corps, mais la bureaucratie chinoise est extrêmement complexe et le processus laborieux semble s’immobiliser à chacune des étapes. Malheureusement, l’accident de Terry  est inattendu et il n’aura laissé aucune instruction en cas de problème médical. Nous sommes donc laissés à interpréter sa volonté en décidant des détails de sa succession et de ses funérailles. Une chose est certaine, pour lui, toute sa vie était à Shangqiu et il aurait voulu que la majorité de ses effets personnels aillent à Lechung afin de lui permettre de vivre une vie meilleure. Aux États-Unis, la famille de Terry décide aussi qu’il vaut mieux léguer ses possessions matérielles au jeune chinois et ne demande qu’à recevoir quelques items personnels en mémoire du défunt. Le passage de Terry à Shangqiu aura changé la vie de plusieurs et c’est par une cérémonie sobre où les traditions des deux pays sont respectées que nous lui  payons nos derniers respects.  Finalement, c’est sans autopsie que ses cendres seront renvoyées aux États-Unis où sa famille pourra enfin vivre son deuil.

Lorsqu’on accepte un emploi à l’étranger, on imagine toujours vivre une expérience unique mais en pensant rarement qu’un accident inattendu pourrait nous empêcher à jamais de remettre les pieds au pays. J’aimerais vous dire que l’histoire de Terry a encouragé l’adoption de procédures plus rapides pour le rapatriement des étrangers de Shangqiu, mais sans la détermination de mes collègues canadiens et leur travail acharné, son décès aurait probablement été laissé aux mains de la bureaucratie chinoise et qui sait combien de temps aurait passé avant que la famille ne puisse vivre son deuil. Pour moi, la mort de Terry a signifié le départ d’un ami cher et le début d’une recherche de nouveaux points de repères dans ma communauté sans ce mentor qui avait été si généreux de sa présence. L’incident a surtout déclenché un dialogue au sein de notre groupe d’expatrié sur l’importance, pour chacun d’entre nous, de la mise en place d’un réseau en cas d’urgence et d’une procédure à suivre si le malheur venait aussi à nous frapper. Je dois dire qu’il n’y a pas un seul jour passé à Shangqiu où je n’ai pas eu une pensée pour mon voisin de pallier lorsque je suis entrée dans mon appartement et que j’ai vu la porte de son logement. En ce matin d’octobre, la vie de Lechung aura aussi basculé à tout jamais, lui faisant perdre la seule personne qui acceptait un mode de vie tabou dans son pays où l’amour entre deux hommes ne sera jamais reconnu comme plus que de l’amitié. Aux yeux de notre communauté universitaire, il a perdu une figure paternelle, mais je saurai toujours qu’il ne pourra jamais avouer à personne avoir perdu son premier amour. À ce jour et pour plusieurs années à venir, l’appartement de Terry restera inhabité en sa mémoire. 

Saturday, April 28, 2012

Pssstt....

Parce que ce deuxième voyage en Chine a été complètement différent de mon année à Shangqiu, j'ai décidé de repartir à zéro et de créer un nouveau blogue. Je vous laisse donc découvrir Le retour en Chine, où vous pourrez lire le récit de notre voyage mère-fille et enfin savoir... 1) Combien de temps est-il possible de rester dans un autobus plein de paysans chinois avant de tenter de se sauver par la fenêtre, 2) La randonnée de nuit en flanc de montagne vaut-elle vraiment le coup? 3) Le nombre exact de cerfs de Virginie qu'il est possible de faire entrer dans un enclos du zoo de Kunming, 4) Ce qu'on apprend dans un cours de cuisine chinoise... et autres recettes faciles, 5) Le Tiger Leaping Gorge est-il le pire endroit du monde pour avoir la gastro? 6) Quelle est la chanson la plus populaire de la ville de Lijiang et pourquoi je m'en souviendrai sûrement le jour de mes noces, mais surtout..

Un an plus tard, qu'est-ce qu'il reste de Shangqiu, ses habitants et nos aventures.

Bonne lecture!

Andréanne

Tuesday, April 3, 2012

Une mère, une fille, des baguettes - La Chine, prise 2

Qu’arrive-t-il quand vous faites la lecture d’un roman pour la seconde fois? Ou alors, quand vous écoutez un film de nouveau? L’histoire n’ayant plus aucun secret à livrer, du moins au niveau des grands rebondissements, vous décidez de vous concentrer plutôt sur les détails. Vos sens et votre attention sont décuplés afin de dénicher des aspects qui vous auraient échappés à la première lecture – vous donnant par le fait même une raison valable de vous être replongé dans l’histoire une seconde fois.  Mais tout est question de point de vue, car pour certaines personnes l’idée de relire un roman est inutile; ils en connaissent déjà la fin et veulent plutôt être émerveillés par une nouvelle histoire. De mon côté, je n’ai aucun problème à prendre des vieux romans de ma bibliothèque et à les lire encore et encore… parce que quand j’aime quelque chose, c’est pour de bon et le revisiter me permet de revoir l’histoire sous un nouveau jour, appréciant finalement les péripéties sans m’inquiéter de l’issue du récit! Bon, je sais que vous êtes ici pour lire sur la Chine, mais, ne vous inquiétez surtout pas, il y a un but à cette métaphore…  

Je vous emmène donc il y a quelques mois alors que j’étais assise dans un restaurant avec ma mère, faisant le point sur mon expérience en Chine. Ma vie maintenant drastiquement différente et beaucoup plus stable me faisait examiner mon expérience sous un nouveau jour. Y avait-il des regrets, des remords ou quelque chose que j’aurais changée?  Pas vraiment… mais semble-t-il que ma mère, elle, gardait un seul regret face à mon expérience : ‘’ Tu sais Andréanne, la seule chose qui me dérange dans tout ça, c’est que je ne suis pas allée te voir en Chine. C’est probablement la seule fois de ma vie où j’aurais pu le faire…’’. Mais était-il vraiment trop tard?
Quelques jours plus tard, ma mère et moi achetions, sur un coup de tête, un billet qui nous amènerait de Shanghai à Pékin en trois semaines au début du printemps. Oui, le projet était ambitieux, car notre itinéraire nous ferait voyager du littoral, jusqu’à la frontière du Tibet dans la province du Yunnan, pour ensuite revenir jusqu’à la capitale… sans oublier un petit détour par Shangqiu. En 24 jours, nous allions visiter 10 villes*, couchant deux nuits maximum dans le même lit, prenant 3 vols internes et plusieurs trains. Bref, nous allions véritablement voir la Chine… sac à dos et caméra en bandoulière obligatoire!

(* Pour les connaisseurs… Shanghai – Hangzhou – Huang Shan – Kunming – Dali – Lijiang – Xi’an – Zhengzhou – Shangqiu – Pékin. )   

Ce qui me ramène donc à mon premier point. À quoi devrai-je m’attendre lors de ma seconde visite du pays qui m’a tant fait vivre d’émotions contradictoires. Malheureusement, je ne peux pas me fier à la littérature pour me donner des pistes de réponse, car on n’a jamais demandé à Tintin de retourner au Tibet! Ça ferait d’ailleurs une b.d. plutôt ennuyante où il passerait son temps à raconter au Capitaine ce qu’il a fait lors de son premier passage dans le pays… (‘’Sacrebleu, la viande de Yak a décidément perdu de sa qualité!’’).

Heureusement, comme pour la deuxième lecture d’un livre, je connais déjà la fin : Notre expérience sera inoubliable et profondément marquante. Mais les petits détails et péripéties qui feront de notre voyage une expérience unique – impossible à comparer avec mon premier passage en Chine – restent à découvrir!  C’est véritablement un luxe et une chance sans pareil de pouvoir retourner dans ce pays où je pensais avoir mis les pieds pour la première et dernière fois. La Chine est mystérieuse, magnifique et vibrante mais elle est aussi épuisante, parfois frustrante et sans contredit insalubre. Cette fois-ci, l’exploratrice a aussi changé… les petites manies chinoises irritantes que j’avais l’habitude d’ignorer reviendront-elles me faire sortir de mes gongs ou pourrai-je retrouver mon tempérament stoïque si durement acquis comme on glisse dans de vieilles pantoufles? Et la question la plus importante demeure : Ai-je déjà perdu la flexibilité qui me permettait d’utiliser les toilettes chinoises avec succès?
Je vous invite donc à suivre nos péripéties; une mère et une fille à la (re)découverte de certains terrains connus, mais aussi de plusieurs nouveaux défis et obstacles. Alors que l’une explore pour la première fois le géant asiatique, la seconde ré-apprivoise la bête qui aura certainement beaucoup changé au cours des 9 derniers mois. Premier arrêt Shanghai…